Tant qu'une étoile scintille...


Précédant et annonçant le mouvement populaire déclenché le 22 février 2019 en Algérie, évocation d’une famille d’un quartier populaire à Oran : conflits et solidarités, désillusions et  espérances.
    

         

 

Zahra contemple longuement Karim, puis lui dit :
- Tu n’es pas seulement un Algérien. Je suis certaine que, dans tous les pays, existent des Karim qui ont ton sens de la dignité et combattent pour elle.
- Toi, aussi, tu n’es pas seulement une Algérienne. Dans le monde entier, se trouvent des Zahra, dont la vie et les combats sont identiques aux tiens… Fondamentalement, l’espèce humaine est unique, au-delà des particularités qui la différencient.
- Toi, aussi, tu n’es pas seulement une Algérienne. Dans le monde entier, se trouvent des Zahra, dont la vie et les combats sont identiques aux tiens… Fondamentalement, l’espèce humaine est unique, au-delà des particularités qui la différencient.

*

Zahra lui demande, avec une sincérité émue :
- Que trouves-tu en moi d’intéressant ?
Karim se tourne de nouveau vers elle, un peu surpris par la question. Puis, un autre sourire éclaire son visage.
- Tu ne le sais donc pas ? répond-il, d’un ton affectueux.
- Je te le demande, réplique Zahra d’un ton où perce de l’amertume, parce que moi, je ne trouve rien d’intéressant en moi.
- Je trouve intéressant en toi ce que je devine comme souffrances subites et comme courage de les affronter.
- Ah ! dit Zahra, surprise et confortée. Jamais je n’ai imaginé quelqu’un, ni homme ni femme, me donner une telle réponse.
- Oh ! reprend Karim… Ceci étant dit, et considéré le plus important chez toi, je dois confesser également un autre aspect.
Il réfléchit vite pour savoir comment exprimer ce qu’il veut dire. Mais, quelque chose l’arrête, une sorte de pudeur, d’embarras ou les deux à la fois.
- Oui ! l’encourage Zahra.
- Eh bien, je trouve également intéressant, quoique que cela soit secondaire, ce dont la nature t’a fait cadeau : un bel aspect physique.
- Je te suis infiniment reconnaissante de le considérer secondaire. Je n’y ai aucun mérite, seul le hasard de la nature en est responsable.
- Oui, c’est vrai, admet Karim. Toutefois, la beauté vaut mieux que la laideur, et cela en toute chose. Par exemple, à la vue d’une personne physiquement disgracieuse, outre à de la compassion pour ce genre de handicap, j’ai trouvé en cela une négation de…
Il s’interrompt, très embarrassé. Zahra en reste étonnée. Elle attend que son ami reprenne à parler. Devant son silence, elle demande avec gentillesse :
- Pourquoi t’es-tu interrompu ?
- Parce que la suite pourrait heurter ta sensibilité, plus exactement ta foi.
- Pour construire une belle relation entre nous, Karim, tout doit être dit et, en cas de problème, en parler calmement, sincèrement jusqu’à l’éclairer et parvenir à un accord.

*

Constatant que Zahra demeure silencieuse, Karim conclut :
- Je ne suis pas, mais alors pas du tout un héros, comme l’on dit. Les souffrances physiques me font peur : l’emprisonnement, la torture et mon éventuel assassinat. Mais je crains davantage d’être réduit à une existence d’esclave. Elle est pire que la mort physique. Tout au moins pour celui qui a conscience de ce qu’est la dignité humaine... Mon seul courage est de veiller à trouver les moyens de vaincre les peurs qui permettent ma réduction à un animal au service d’un propriétaire.
Zahra réfléchit un instant à cet aveu. Elle désire savoir davantage :
- Comment expliques-tu que certains se résignent à leurs malheurs, d’autres tentent de les combattre, mais finissent toutefois par succomber, et d’autres encore savent affronter les difficultés et, même s’ils ne triomphent pas, conservent néanmoins leur dignité et leur volonté de continuer à se battre ?
- Peux-tu me donner des exemples ? demande Karim.
- Par exemple, ma mère est une résignée ; mon père et mes frères sont des combattants vaincus ; toi, tu luttes, et, malgré les obstacles, tu continues à lutter.
Karim hausse d’un coup les deux sourcils en signe de perplexité, considère la question un peu de temps. Il dit :
- Tout ce que je sais, en ce qui me concerne, c’est le rôle fondamental joué par l’éducation que m’a donné ma mère, et l’exemple fourni par mon père, comme travailleur. J’ai le net sentiment que tout ce qu’il y a en moi d’optimisme, de volonté, de détermination et de dignité, ce sont eux deux qui l’ont semé en moi, et cela dès ma prime enfance. Puis, j’ai eu la chance de connaître Si Lhafidh, et, aussi, des camarades de travail qui ont le même caractère que le mien.
Il ajoute :
- Je ne dois pas oublier autre chose : la leçon de courage et de dignité que m’ont donné ceux et celles qui m’ont permis, par leur combat et leurs sacrifices, de n’être plus un colonisé.
- Cependant, objecte Zahra, des gens comme toi sont une infime minorité, et ceux qui nous ont libérés du colonialisme sont ridiculisés et méprisés par un journaliste d’Oran, qui recueille de la sympathie parmi des jeunes.
Karim a un long soupir de désolation.
- Oui ! admet-il. Nous sommes une minorité, et ce journaliste crache sur ceux dont les sacrifices nous ont libérés du colonialisme, et l’ont libéré, lui aussi… Mais notre pays n’est pas le seul où existe une minorité de gens dignes et une minorité de renégats.
- Mais des gens dignes, reprend Zahra, pourquoi sont-ils minoritaires ?
La question oblige Karim à réfléchir à la réponse. Quelques secondes après, il dit :
- Tous ceux qui étaient parvenus à changer en mieux la société humaine furent d’abord une minorité, et quelquefois pendant longtemps, et même des siècles, ceux de l’esclavage, ensuite du féodalisme… L’important, à mon avis, est d’être du coté de la dignité humaine, là est l’essentiel, même si elle est ignorée par la majorité du peuple, parce qu’il est soumis à un gigantesque et systématique conditionnement de servilité.
- Et, continue Zahra, pourquoi existe un journaliste qui se permet d’insulter les combattants de la guerre pour l’indépendance ?
- C’est parce que, à la place du cœur, il a un compte en banque, et à la place de la conscience, le cancer de la gloire médiatique... Pour obtenir argent et gloire, un seul moyen existe : produire des mots qui servent les intérêts des riches et des puissants du moment. Ce genre de larbin, de harki, a toujours existé, partout dans le monde. Et il continuera à exister tant qu’il y aura des riches et des puissants pour lui jeter des os à ronger : l’argent et la gloire, sans lesquels ce genre de personne ne se sent pas vivre.
- Mais, reprend Zahra, comment peut-on gagner de l’argent et de la gloire en insultant les combattants de la guerre de libération nationale ?
- Tu as raison de poser cette question. En effet, à première vue cela semble incompréhensible. J’y avais réfléchi auparavant. J’ai fini par comprendre. Les uns ont commencé par faire l’éloge de la guerre de libération pour légitimer leur accaparement du pouvoir étatique. Puis, cette imposture a fini par faire apparaître d’autres qui, en réaction, ont réduit cette même guerre de libération à une farce de vantards et de profiteurs. Et le dire comme journaliste, cela fait plaisir à tous ceux, Algériens et étrangers, qui veulent stigmatiser cette lutte de libération nationale.
- Pourquoi la stigmatiser ?
- Eh bien, en enlevant au peuple ce qui fait sa plus grande dignité, précisément cette épopée libératrice, on l’humilie, on lui enlève sa fierté, on le porte à s’auto-mépriser. Ainsi, on rend plus facile sa domination, aussi bien par des autochtones que par des étrangers… Ces candidats dominateurs, pour servir leurs intérêts, se doivent, bien entendu, de concéder de l’argent et de fournir, par les masses-média qu’ils possèdent, la gloire aux larbins, ces nouveaux harkis, qui produisent cette stigmatisation de l’histoire d’un peuple.
- Alors c’est vrai, conclut Zahra, ce que dit le proverbe : il ne reste dans la rivière que ses cailloux.
- Oui, et ces cailloux sont la minorité dont nous avons parlée au début. Comme les combattants de la guerre de libération nationale, ces minoritaires poursuivent la même lutte pour la dignité du peuple dont ils font partie. Et tout ce qu’il y a à gagner, c’est la propre dignité individuelle.
Zahra demeure silencieuse, les yeux rivés sur Karim. Il lui demande :
- Qu’en penses-tu ?
- Que tu parles bien ! répond-elle, tandis que ses magnifiques yeux brillent d’un éclat plus lumineux... Tu dis ce que j’ai toujours aimé entendre, sans avoir jamais trouvé quelqu’un pour me le dire. J’ai finalement la chance de t’avoir connu. Je voudrais tant voir toutes les personnes victimes d’injustice entendre ce que tu dis, car c’est le médicament qu’il leur faut pour soigner les maux dont elles sont victimes.
Zahra contemple longuement Karim, puis elle ajoute :
- Tu n’es pas seulement un Algérien. Je suis certaine que, dans tous les pays, existent des Karim qui ont ton sens de la dignité et combattent pour elle.
- Toi, aussi, tu n’es pas seulement une Algérienne. Dans le monde entier, se trouvent des Zahra, dont la vie, les souffrances et les combats sont identiques aux tiens… Fondamentalement, l’espèce humaine est unique, au-delà des particularités qui la différencient.





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